Il est d’usage de confronter le système participatif, celui qui repose sur le partage et l’échange par les réseaux, à l’algorithme qui revient à scruter le comportement des consommateurs pour le mettre en équations. D’un côté, la démocratie, de l’autre, Big Brother, expression cachée d’un totalitarisme moderne. Les choses sont-elles si simples ?
La formule n’est pas de moi : je l’ai entendue de la
bouche d’Olivier Margerand à
l’occasion d’une conférence. « Participatif = stade poussé de la
démocratie. Algorithmique = automatisé par analyse » m’a-t-il tweeté
lorsque je lui ai demandé de préciser sa pensée.
L’idée est intéressante, que de confronter ainsi les réseaux
et les moteurs, la démocratie et la dictature, les gentils et les méchants…
(Rendons justice à Olivier : jamais il ne m’a parlé de totalitarisme,
c’est moi qui conclus ainsi). Allons plus loin : les startups, les
coworkers et les connectés d’un côté, contre les big firms, les Gafa* et les
adeptes du big data de l’autre.
(Re)lisons Tocqueville
Avoir fait Sciences Po m’a au moins appris une chose, c’est
de me méfier des raccourcis, surtout lorsqu’ils sont politiques.
Premier raccourci : le web est construit sur le
participatif, donc il est l’expression de la démocratie. Là, c’est facile de
démontrer le contraire : les réseaux sociaux sont aussi le tuyau par
lequel passe la propagande la plus sombre, le réceptacle des théories
conspirationnistes les plus fumeuses et j’en passe. Quant à savoir si le
participatif, c’est la démocratie, il suffit de relire Tocqueville (un écrivain
d’avant la création d’Arpanet) pour se rappeler que la loi du plus grand nombre
peut aussi aboutir à l’oppression des minorités. Tocqueville appelle cela la
tyrannie de la majorité.
Second raccourci : l’algorithme est un totalitarisme.
En fait, on touche là au fond du métier du marketeur. Il faut bien se rendre à
l’évidence que le rêve ultime d’un homme ou d’une femme de marketing est de
mettre le comportement des consommateurs en équations. Et cela depuis toujours,
bien avant l’irruption du numérique. Les Yves Rocher, La Redoute et autres
vépécistes ne faisaient pas autre chose en leur temps, lorsqu’ils scrutaient la
variation des taux de transformation de leurs mailings en fonction du contenu
du message, de la couleur ou de la création graphique. Les merchandiseurs ne
pensaient pas autrement lorsqu’ils testaient la réactivité des acheteurs en
fonction de l’aménagement des hypermarchés. On parlait alors de modèles RFM
(récence, fréquence, montant) pour segmenter les bases de données. On fait
aujourd’hui du big data.
Le marketing est apolitique
Que reprocher à Google qui mémorise l’historique de nos
recherches lorsque son objectif est d’améliorer la pertinence de ses
réponses ? Pourquoi son algorithme est-il si hermétique si ce n’est pour
protéger la neutralité de son moteur des détournements des annonceurs qui
voudraient bien que leurs sites remontent dans le classement du référencement
naturel ? Que dire de Criteo qui fait
que les publicités qui nous sont présentées en ligne répondent à un besoin que
nous avons exprimé ? Eh bien, on peut dire qu’ils font leur travail… Mais
voir dans leurs algorithmes une volonté perverse de contrôler les esprits pour
dominer le monde, on en est loin. Le marketing ne fait pas de politique.
Le marketing, adepte du béhaviorisme
Il reste que le marketing, dans son analyse, est indéniablement
inspiré des théories behavioristes qui voudraient que le comportement humain
soit prévisible. A les croire, l’homme répond à des stimuli et la loi du nombre
(celle des statistiques) fait que l’on peut orienter les actes d’achat des
consommateurs si on actionne les bons leviers.
Mais tout cela est un peu théorique : ni le
béhaviorisme, ni le marketing, ni le big data n’atteindront le Graal de la mise
en équation du comportement humain. C’est que les actions des individus ne sont
pas seulement le fruit de stimulations : elles dépendent aussi de facteur
psychologiques, historiques ou sociétaux qui lui sont intimement propres et qui
font que le consommateur sera toujours et indéfectiblement un mystère.
Après tout, l’homme est un être libre dans ses actes et ses
pensées.
*
Gafa : Google, Apple, FaceBook et Amazon
PS. Pour ceux que cela amusera, je leur suggère une de mes publications
littéraires sur le sujet, avec un point de vue tout à fait opposé… mais il
s’agit d’anticipation, n’est-ce-pas ?
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