Ils entretenaient jadis une relation on ne peut plus tendue : entreprises locataires et propriétaires bailleurs ne parlaient que d’argent car ils n’avaient pas d’autres sujets de conversation. L’irruption des prestataires de coworking a rebattu les cartes en inventant trois concepts : le besoin, le service et le client.
Le monde de l’immobilier d’entreprise a développé, comme
beaucoup d’autres univers professionnels, un vocabulaire qui n’appartient qu’à
lui. Le « bailleur » désigne ainsi le propriétaire d’une surface de
bureaux qui, si elle n’a rien de particulier, entendez, s’il ne s’agit ni d’un
entrepôt, ni d’une surface commerciale, se voit affublée de l’adjectif
« banalisée ». Quant au locataire, il est le « preneur »,
le signataire du contrat de bail. Cela donne une idée de l’état dans lequel était
jadis la relation client : lorsqu’un « preneur » était amené à
louer des bureaux « banalisés », on pouvait, sans trop d’erreur,
supputer que les échanges qu’il entretenait avec son « bailleur » étaient
proches de zéro. Une relation peu constructive parce que conflictuelle par
nature et sous-tendue d’une défiance réciproque. Le rêve du propriétaire était
de coincer son locataire dans un contrat le plus long possible, celui du
locataire était de renégocier les termes de son bail, le montant de son loyer.
Tout était affaire de gros sous. Parler de service, de fidélisation client n’avait
pas lieu d’être : si mon locataire n’est pas heureux, qu’il aille trouver
ailleurs, prendre à bail un autre bureau banalisé…
La vision du bureau reste traditionnelle
En revanche, toucher au sacro-saint Bail, jamais. Vous avez
besoin d’héberger une équipe en surnombre pour un projet pendant deux ans ?
Signez là, mais pour trois, six ou neuf ans. Vous n’utilisez vos salles de
réunion que 20% du temps ? Que voulez-vous y faire : un m² de réunion
n’est pas un m² d’open-space et la réglementation nous interdit de toucher à
cette répartition. Vous voulez un accueil convivial comme un café ? Il
vous faudra le payer dans vos charges.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la vision du bureau
reste très traditionnelle.
Débanaliser l’offre de bureaux
C’est là que l’hydre de la nouvelle économie pointe son nez.
Les entreprises de coworking (travail partagé) comme l’anglo-saxon Wework ou le français Nextdoor, bouleversent le paysage avec
quelques idées simples. Transformer un bail
en contrat, modifiable et résiliable
au mois le mois, c’est eux. Proposer des espaces de réunion partagés, c’est
encore eux. Animer un immeuble, entretenir un esprit de convivialité et de
partage propre à favoriser les synergies entre start-up (jeunes pousses), c’est toujours eux. Et, ce qui les
différencie de leurs aînés loueurs de bureaux pré-équipés, offrir ces services
à des prix compétitifs tout compris, c’est bien eux, grâce à la densification
poussée des plateaux permettant de faire fonctionner leur modèle économique.
Les coworkers révolutionnent, mais avec de vieilles
recettes. Celles qui veulent que le prix n’est pas le seul élément d’une offre
marketing. Le service, la souplesse, l’adaptabilité, l’accueil, la pérennité de
la relation et, pourquoi pas, l’attachement à la marque, autant de besoins des
entreprises locataires auxquels ils répondent. Les propriétaires ont bien
compris d’où venait le vent en tâchant de « débanaliser » et en
multipliant les services associés aux m² loués.
Transformer les locataires en clients
Quelle stratégie suivre pour un bailleur qui voudrait
prendre le train du renouveau de son offre ?
La première voie est de s’associer à un tiers, de faire appel
à l’une de ces entreprises de la nouvelle économie et de profiter de son
savoir-faire en matière de partage du travail pour assouplir l’offre. Une
relation gagnante : ouvre-moi les portes de ton parc immobilier et je
t’animerai tes immeubles en y installant une nouvelle génération d’occupants,
PME, start-up ou spin-off (essaimage) de grands groupes.
Mais vite va se poser la question de la vampirisation des
marques. A moins de s’associer dès le départ autour d’un projet commun, le
bailleur risque fort d’être cannibalisé par la puissance de l’enseigne du
coworker qu’il va héberger.
Seconde solution, le faire soi-même. Un certain nombre de
grands propriétaires on entamé des réflexions en ce sens : transformer
leurs locataires en clients. Ecouter les besoins de l’occupant en lui donnant
la parole, mettre en place une relation dans la durée avec un directeur de
clientèle attitré, déployer de nouveaux services propres à lui donner
satisfaction, la logique est facile à enclencher – après tout, d’autres l’ont fait
qui venaient du secteur public*. Mais, derrière tout cela, la difficulté est de
sortir de la logique immobilière dont j’ai parlé plus haut : Equipements,
Aménagements, Mètres-carrés ne suffisent pas à répondre aux besoins. Il faut
aussi offrir des services et, cela, les propriétaires bailleurs vont devoir
l’apprendre car ce n’est pas leur métier d’origine.
Le règne des architectes va devoir laisser la place à celui
des commerçants.
* Que dire de la SNCF ou de la Poste qui ont opéré depuis
longtemps leur révolution Copernicienne en transformant les usagers en clients
et cela bien avant qu’ils ne soient confrontés aux coups de la nouvelle
économie? L’immobilier, qui relève pourtant du secteur privé, n’est pas à la
pointe en matière de relation client.