©Bisson
Technologies obsolètes, lourdeur des processus, le directeur
informatique est souvent considéré comme un obstacle, celui qui empêche au digital de s'épanouir pleinement. Mais
comment s'en passer ? Faire l'économie d'un DSI, c'est rester au stade de la preuve
du concept (proof of concept). À lui
de prendre le flambeau du numérique pour l'intégrer dans les systèmes et en
faire une machine à créer de la valeur.
Mon ami Didier, que je félicitais récemment de la brillante
réussite de son entreprise d'informatique, me répondit : « tu n'y es pas du
tout, l'intégration des systèmes, c'est fini. Il y a 10 ans, on était les
champions et notre développement ne dépendait que de notre capacité à recruter
des jeunes informaticiens qu'on envoyait en batterie chez les clients pour
refondre leurs systèmes. Aujourd'hui,
que veux-tu, les mégaprojets SAP, il n'y en a plus. D'un côté, tu as les
Gafa(*) qui proposent leurs technologies pratiquement gratuitement aux grands
comptes et, de l'autre, des tombereaux d'indiens qui te font le boulot pour le
dixième du prix. Et en plus ils sont bons ! Moi, je te le dis : l'IT c'est fini.»
L'irruption du numérique bouleverse le microcosme de l'informatique d'entreprise
Pauvre Didier : si les prestataires en informatique
commencent à se plaindre, que va-t-il nous rester ! Et si vous entrez dans les
entreprises alors, là, c'est le carnage. D'un côté de l'arène, le marketeur et
le directeur commercial, suivi d'une cohorte de startups. De l'autre le
directeur informatique avec ses intégrateurs, développeurs, architectes et
urbanistes. Entre les deux camps, c'est la méfiance : « lourdeur, manque
d'agilité » disent les uns, « inconscience, insécurité », répondent les autres.
Il est vrai que l'irruption du numérique a bouleversé le
microcosme de l'informatique d'entreprise. Alors que, jusqu'à présent, les DSI
menaient paisiblement leur chemin en intégrant les grands systèmes et en les
faisant évoluer au rythme des projets, voilà que le digital est venu tout changer. D'abord, la demande n'est plus émise
par l'exploitation (celle qui consommait du SAP) mais par le marketing et le
commercial. Ensuite, cette demande est en perpétuel renouvellement : vérité en
année N, erreur au-delà ; il faut agir vite sous peine de passer à côté des
évolutions déployées par la concurrence. Troisième facteur de changement, le
numérique fait appel à des technologies en open source qui, horreur absolue, ne
répondent pas aux standards de sécurité exigés.
La dictature du proof of concept
Enfin, dernier point, le DSI, qui avait l'habitude de gérer
l'informatique en mode projet (expression de besoin, spécifications
fonctionnelles, spécifications détaillées, développement, recette) se retrouve
face à une population qui y est étanche. Pour les marketeurs et les commerciaux,
le bon schéma est plutôt : je développe, je démontre, je déploie. C'est la
dictature du proof of concept. « Aïe,
dit le DSI, ça ne me va pas du tout, on va dans le mur ». Le directeur
informatique serait-il devenu ringard ? Ou, pour reprendre l'expression à la
mode, manque-t-il d'agilité ?
C'est à ce moment crucial, où les deux parties sont dans
l'arène et qu'elles vont en venir aux mains, et où le marketing menace de
passer aux actes (comprenez : développer son propre système d'information) que
la direction générale intervient et siffle la fin de la récré.
À la DSI, elle dit : « réformez-vous, nous n'avons pas le
temps d'attendre. Le changement c'est maintenant ! Il me faut des outils
intégrés, et vite ! Avant que la concurrence n'ait pris de l'avance. »
Au marketeur et à sa cohorte des startups incubées : « la preuve du concept, c'est bien, la création
de valeur c'est mieux. Mettez-vous au travail avec les informaticiens et
intégrez-moi tout cela dans mes systèmes d'information. Pas d'intégration, pas
de bénéfice. »
Intégrer le numérique aux systèmes d'information
En effet, à quoi sert de mettre en place une appli
permettant de suivre l'avancée d'un chantier et la levée des réserves, si elle
n'est pas interfacée avec les outils métier ? Quel est l'intérêt de générer des
centaines de contacts Internet sur vos programmes immobiliers s'ils ne sont pas
reversés dans votre outil de gestion de la relation client (CRM) ? Pourquoi
proposer des plans 3D interactif aux visiteurs de votre site Web s'il faut
redessiner entièrement ce que vous aura livré votre architecte ? Intégration du
numérique aux systèmes d'information, voilà le maître mot. Celui qui va
transformer votre « proof of concept » en « cash machine ».
Ce n'est pas une révolution mais un changement de point de
vue à quoi sont confrontées les directions informatique. Le point de vue qui
place les questions marketing et commerciales au cœur des préoccupations des
entreprises. Que le client soit roi n'est pas une découverte, mais le fait
qu'il interagisse avec l'entreprise via des outils numériques pose un défi aux
informaticiens. Un défi qu'ils vont relever.
Que Didier se rassure : il y a encore du travail pour les
intégrateurs.
(*) Gafa : Google, Apple, FaceBook et Amazon.